Carte blanche: l’Evras doit retrouver la place qu’il mérite dans l’enseignement
Depuis plusieurs années, une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) pour les élèves tout au long de leur scolarité est considérée comme le moyen crédible et nécessaire afin d’accroître les aptitudes des jeunes à opérer des choix éclairés, favorisant leur épanouissement personnel, le respect de soi et des autres. Dans la lutte contre le harcèlement, le sexisme, les violences sexuelles, les inégalités de genre, les violences et les discriminations à l’égard des personnes LGBTQI+, les inégalités sociales de santé…, l’Evras apparaît également comme un besoin, voire une urgence. Cette prise en considération ne peut néanmoins suffire.
Si la plupart des acteurs et actrices de l’enseignement et de la santé conviennent en effet de cette nécessité, force est de constater qu’actuellement, une large majorité des élèves francophones n’a jamais bénéficié ne fût-ce que de 2 heures d’Evras sur l’ensemble de la scolarité.
Un planning perturbé
A cet égard, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a inscrit dans la déclaration de politique communautaire sa volonté de « généraliser l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) et veiller à ce qu’elle soit donnée par des opérateurs labellisés ». Les ministres chargées de ces matières, en Wallonie, à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles montrent une réelle volonté d’aboutir, tant sur la généralisation que sur la labellisation.
La crise sanitaire est venue bousculer cet agenda, imposant ses urgences. La priorité a été de laisser les écoles ouvertes avec des modalités précises et contraignantes. C’est une priorité à laquelle nous avons tou·tes souscrit.
Quelques recommandations
Cependant, il ne faudrait pas que ce temps d’arrêt dans la politique d’une généralisation de l’Evras perdure. En effet, les bénéfices pour les élèves sont réels et indispensables, en particulier après les mois qu’ils et elles viennent de traverser et les constats alarmants des pédopsychiatres.
En tant qu’acteurs et actrices des secteurs de l’Evras et de la santé mentale de l’enfance, nous recommandons :
1) De réactualiser au plus vite le protocole d’accord de 2013 et de mettre concrètement en œuvre une vraie généralisation de l’Evras tout au long de la scolarité des élèves.
2) De consolider des budgets qui permettront aux acteurs et actrices de terrain d’absorber le nombre important d’animations Evras en vue d’une généralisation.
3) De labelliser les opérateurs et opératrices Evras afin de mettre fin aux pratiques de certaines ASBL privées qui expriment des propos sexistes, transphobes, homophobes ou anti-choix durant les animations qu’elles dispensent. Une animation Evras de qualité doit sensibiliser les jeunes aux questions, entre autres, d’égalité des genres, de santé sexuelle, d’orientation sexuelle et d’identité de genre et offrir une information claire et fiable au sujet de la puberté, du consentement, des rapports sexuels, des moyens de contraception, de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), des infections sexuellement transmissibles (IST), etc.
4) De renforcer l’offre de formation initiale (et continue) pour l’ensemble des acteurs et actrices réalisant de l’Evras de manière formelle et informelle.
5) De sensibiliser à l’Evras les futur·es enseignant·es de toutes les disciplines durant leur formation initiale et continue.
Retisser les liens
Par ailleurs, si nous sommes conscient·es que certaines matières n’ont pas été vues en classe l’année dernière et que de nombreux établissements ou professeur·es auront pour principale priorité de rattraper ce retard, les mois passés ont bousculé tous les repères et en particulier ceux liés à la vie scolaire, sociale et affective. Les professionnel·les de la santé mentale de l’enfance et du secteur de l’Evras s’accordent sur la nécessité de mettre à profit ce début d’année scolaire pour retisser les liens et offrir un espace de parole aux élèves. Dans cet exercice de retissage du lien avec soi et les autres, les animations Evras sont basées sur les processus les plus adéquats afin d’outiller les jeunes pour vivre de manière autonome et responsable leur vie relationnelle, affective et sexuelle. Aussi, les jeunes ont besoin, plus que jamais, de savoir que des professionnel·les, des structures et des services sont prêt·es à les accueillir et à les accompagner, afin de répondre à leurs interrogations et à leurs besoins.
De la volonté aux actes
Les professionnel·les de l’Evras sont également des ressources pour les équipes éducatives (personnel enseignant, éducateurs/éducatrices…) afin de les aider à accompagner leurs élèves dans les aspects psycho-socio-affectifs du déconfinement.
L’urgence – à l’école et en dehors – est le bien-être des enfants et des jeunes, dans ses dimensions relationnelles, affectives et sexuelles. La généralisation de l’Evras en sera un des leviers principaux, nécessaires et indispensables.
La volonté réelle, que nous saluons pleinement, ne peut suffire.
Près de dix ans après la signature du protocole d’accord, le moment est venu de transformer cette volonté en actes en posant les jalons d’une labellisation et d’une véritable généralisation de l’Evras tout au long de la scolarité des élèves.
*Amnesty ; Arc-en-Ciel Wallonie ; Centre d’Action Laïque (CAL) ; Centre Régional du Libre Examen ; CHEFF (Fédération des jeunes LGBTQI) ; FCPF- FPS (Fédération des Centres de planning familial des Femmes Prévoyantes Socialistes) ; Comité Belge Ni Putes ni Soumises ; FCPC (Fédération des Centres de Planning et de Consultations) ; FCPPF (Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial) ; FLCPF (Fédération Laïque des Centres de Planning Familial) ; Latitude Jeunes ; Plateforme Prévention Sida ; Université des femmes.
Cosignataires : Anne Burton, psychologue ; François Carbonez, Pédopsychiatre ; Sabine D’haeyere, psychologue ; Valérie du Bois d’Enghien, psychologue ; Élodie Duchêne, psychologue ; Cécile Foucart, psychologue ; Sophie Galer, neuropsychologue ; Noemy Gerard, pédopsychiatre ; Vincent Gilliaux, pédopsychiatre ; Fabienne Glowacz, psychologue ; Sophie Gouder de Beauregard, psychologue ; Pauline Grégoire, psychologue ; Caroline Lemoine, pédopsychiatre ; Margaux Léotard, pédopsychiatre ; Aurore Liénard, psychologue ; Sophie Maes, pédopsychiatre ; Elena Mitri, psychologue ; Amandine Monsel, psychologue ; Camille Noël, pédopsychiatre ; Lucie Parentani, psychologue ; Natacha Rome, chargée de mission ; William Sbrugnera, psychologue ; Vincent Schillebeeckx, psychologue ; Eve Scorneaux, psychologue ; Françoise Vanhalle, pédopsychiatre ; Doris Van Cleemput, psychologue ; Brigitte Vanthournout, pédopsychiatre ; Nicole Zucker, pédopsychiatre.